Aujourd’hui, à la faveur d’un jour de congé (je reviendrai peut-être là-dessus plus tard), je suis restée chez moi et j’ai regardé l’émission “Toute une histoire”, animée par Jean-Luc Delarue.
Les invitées étaient des femmes qui souffraient de partager leur vie avec ce qu’elles appellent “un ours”, entendez par là un homme qui ne parle pas, qui apprécie la solitude au point de la préférer, parfois, à sa vie familiale, un homme qui ne dévoile pas ses sentiments, qui n’aime pas sortir, qui ne se livre à aucune effusion, qui n’offre pas de fleurs, qui ne fait pas de compliments mais n’hésite pas à faire un reproche ou piquer une grosse colère… En un mot, un homme bourru et casanier. Et ces femmes souffraient de ce qu’elles percevaient comme de l’indifférence, de la routine et du désamour.
J’ai écouté ce débat avec intérêt et même, je dois le dire, une certaine émotion. Car il se trouve que mon père était précisément ce genre de personne : un ours et parfois même un ours sacrément mal léché. Mais derrière cette surface rugueuse se cachait un cœur d’artichaut, une nature sensible et généreuse, un humour tout en finesse, une honnêteté sans faille, des valeurs solides comme un roc, solides comme lui et franchement, aujourd’hui, même si Maman et moi coulons des jours heureux ensemble, nous aimerions bien l’avoir avec nous, quitte à l’entendre râler de temps en temps !
Il était exactement ce genre d’homme : peu loquace, il savait parfaitement nous faire comprendre ce qu’il avait à l’esprit... et en général, cela ne se discutait pas !
Il aimait effectivement la solitude : sa pèche, sa chasse (combien de fois nous a-t-il ramené des champignons dans son carnier, plutôt que du gibier !), son établi, son bricolage… Adolescente, j’avais installé ma chambre près de son atelier et j’ai bien souvent été réveillée par ses monologues agacés et ses tirades furieuses pour un outil mal rangé ou mal aiguisé ! Ses colères étaient fréquentes, tempétueuses, redoutables mais une fois l’orage passé c’était terminé et on ne revenait pas dessus. Ma mère ne s’en formalisait pas : tant qu’il “gueulait”, c’est qu’il était en bonne santé, disait-elle ! Et elle avait bien raison ! Quand ce maudit cancer a commencé à le ronger, on ne l’entendait plus !
Ce qu’on n’entendait pas de sa part, même quand il allait bien, c’était des compliments ou des mots d’amour. Mais ce n’est pas parce qu’il ne les prononçait pas que les sentiments n’étaient pas éprouvés. Ainsi, j’ai eu beau faire de longues études, je n’ai jamais reçu de pompeuses félicitations lorsque je lui annonçais que j’avais obtenu mon examen. J’avais plutôt droit à “Encore heureux !” ou “Normal !”. Une façon comme une autre de me dire que je n’allais pas en fac (que) pour les soirées étudiantes mais aussi pour bosser… et qu’il n’avait jamais douté de mon succès !
Mon père était ce que j’appellerais “un bulldozer de tendresse” ! Son affection pour nous existait, mais il la démontrait avec sobriété, voire même avec rudesse ! Deux anecdotes me viennent à l’esprit : un jour, il est revenu de son travail avec trois noisettes (mais ce qui s’appelle vraiment TROIS noisettes) qu’il avait trouvées sous un arbre, il s’est approché de la table sur laquelle j’étais en train de faire quelque devoir (j’étais encore en fac) et il me les a presque jetées dessus avec un très bref “Tiens !”. Je savais toute la somme de tendresse que cachait ce geste brusque. Papa se trompait régulièrement de date pour mon anniversaire mais quand il trouvait trois malheureuses noisettes dans la nature, elles étaient pour moi.
Une autre fois, j’avais voulu adopter un chaton et il s’y était catégoriquement opposé, me contraignant même à aller rapporter la petite bête chez ceux qui me l’avaient donnée. J’avais tout de même 19 ans et je l’avais très mal vécu. Le soir-même, mortifiée, j’écrivais à Tinky pour fustiger pendant plusieurs pages de lignes serrées “l’indifférence” et “l’égoïsme” de ce père qui s’irritait de ce qui pouvait bien me faire plaisir, s’en fichait de m’avoir fait de la peine, etc… Je devais apprendre plus tard que mon père, enfant, avait eu un chat (un chat noir, tiens donc !) qu’il avait beaucoup aimé et il avait été si triste de le perdre qu’en fait, il avait voulu m’éviter d’éprouver un jour la même peine ! Évidemment, ça lui aurait sans doute écorché la langue de me le raconter lui-même et d’être pris en flagrant délit de sensiblerie !
Quelques mois plus tard, à peine, Maman m’offrit une petite chatte, ma petite Moquette, bisaïeule de mon actuel Pilou et tout se passa très bien. Papa fut le premier à l’adorer !
Papa aimait beaucoup les animaux. Les chiens en particulier. Nous en avions toujours au minimum trois ou quatre. Des chiens de chasse, bien entendu. A cause d’eux, nous ne pouvions jamais partir bien longtemps. De toute façon, Papa était un homme casanier. Aller en vacances ? Pourquoi ? Nous n’étions pas bien, chez nous ? Au restaurant ? Pourquoi ? Il n’y avait pas à manger, à la maison ? Offrir des fleurs à Maman ? Pourquoi ? Il y avait des fleurs plein le jardin ! Elle en avait, des fleurs !
Nous sortions donc très peu mais nous recevions beaucoup ! Papa travaillait dans la mécanique automobile et chaque fois qu’un représentant venait, il n’allait pas coucher à l’hôtel mais venait dîner et dormir chez nous ! Tous sont devenus des amis. Pour mon frère et moi, c’était un peu la fête à chaque fois qu’on les voyait arriver. C’était la maison du Bon Dieu, chez nous ! Combien de fois ai-je vu Maman ouvrir le clic-clac du salon et faire un lit à la dernière minute… Et tout se taper, bien sûr ! Car je vous parle de gens qui avaient 20 ans dans les années 50 et niveau répartition des tâches… disons que j’ai grandi dans un modèle de famille très… traditionnel. Il y a peut-être des célibats prolongés qui s’expliquent, malgré tout !
En dépit de ça, Maman n’a jamais voulu refaire sa vie après la mort de Papa alors que ni mes frères, ni moi ne nous y serions opposés. Il faut donc croire que derrière tout ça, il y avait de l’amour et peut-être même du Grand Amour ! Alors je vous le dis à vous, Mesdames, qui êtes venues vous plaindre sur le plateau de Monsieur Delarue, ou vous, Mesdames, qui pensez avoir reconnu votre conjoint dans ces portraits peu flatteurs, rappelez-vous que même si votre compagnon ne vous fait pas toujours la vie rose, derrière chaque ours se cache un Bisounours, que même un Bisounours, ça ne parle pas beaucoup et qu’un si confortable et si rassurant doudou vivant manquerait bien s’il n’était plus dans le coin !
1 commentaire:
Il ne disait pas les compliments en face, mais il parlait parfois des personnes qu'il aimait en des termes particulièrement tendres et poétiques, même s'il était laconique. Pour toi, il n'avait que des mots adorables, et il était très fier de toi, mais comme il était très émotif, derrière ses grands airs, et surtout très timide, il n'osait jamais dire les choses en face quand elles étaient gentilles ! En fait, les ours, ce sont surtout de grands timides au coeur tendre, et pudiques.
Allez, bises, ce joli article émouvant m'a foutu la larme à l'oeil, tu peux être fière de toi !
Tinky :-)
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